[Regards croisés] Repenser l’activité économique, et s’engager dans la coopération

[Regards croisés] Repenser l’activité économique, et s’engager dans la coopération

Témoignage de  Nicolas Frango, animateur du Club CLEF

(Club CLEF : Club d'acteurs pour une économie de la fonctionnalité en Auvergne-Rhône-Alpes, animé par le CIRIDD)

Comment le Club CLEF participe-t-il à la promotion de l’économie de la fonctionnalité sur le territoire Auvergne-Rhône-Alpes ?

N.F. : Le Club CLEF est un espace d’échanges et de partage de ressources sur l’économie de la fonctionnalité pour les rendre accessibles à tous et ainsi répondre aux besoins concrets des acteurs (sensibilisation, formation, accompagnement, etc.). C’est un espace de démonstration qui fournit la preuve par l’exemple que l’économie de la fonctionnalité est possible. C’est aussi un espace de travail qui crée des dynamiques pour rompre l’isolement des porteurs de projets sur cette thématique récente. Le collectif permet de fédérer les acteurs et de créer des synergies sur le territoire.

 

Comment définiriez-vous l’économie de la fonctionnalité ?

N.F. : L’idée principale est de sortir de la logique de volume face au constat que la consommation des biens a triplé depuis 1960 (INSEE) et que la pression sur les ressources naturelles s’intensifie. Trouver un modèle économique qui sort de cette logique implique une évolution de la raison d’être de l’entreprise, de son rapport avec les parties prenantes, et son inscription dans un écosystème global. C’est aussi sortir de la logique de standardisation du résultat axant uniquement sur la rentabilité. Ce changement de paradigme peut être brutal, et le principe de trajectoire est important. Il existe d’ailleurs plusieurs niveaux d’intégration du modèle :

  • Approche du couple produits-services : approche industrielle ;
  • Économie de la fonctionnalité : approche micro-économique qui réfléchit au besoin auquel l’offre économique répond, dans une optique de performance d’usage ;
  • Économie de la fonctionnalité et de la coopération : approche macroéconomique qui prend en compte les externalités produites, le système d’acteurs, l’organisation du travail, etc.

En somme, l’économie de la fonctionnalité réinterroge le modèle et les pratiques.

Quels sont les enjeux liés au développement de ce mode de faire et de ce modèle économique ? Quels sont les effets utiles de l’économie de la fonctionnalité ?

N.F. : Il s’agit essentiellement :

  • D’intégrer la notion d’externalités sociales et environnementales.
  • De développer des modèles économiques plus résilients et adaptables, et les ressources immatérielles qui sont habituellement peu valorisées dans les modèles classiques.
  • D’engager les partenaires sur le moyen et le long-terme pour pérenniser le modèle économique et co-développer des offres pertinentes.
  • De maîtriser le cycle de vie en allongeant la durée de vie des biens, et donc de diminuer l’impact sur les ressources.
  • De redonner du sens au travail en se questionnant sur la raison d’être et les effets utiles de l’offre en lien avec le besoin du client auquel elle répond et son impact sur le territoire.

Comment l’économie de la fonctionnalité s’insère-t-elle dans l’économie circulaire ?

N.F. : L’ADEME positionne l’économie de la fonctionnalité comme l’un des sept leviers2 de l’économie circulaire. Il est intéressant de voir que l’économie de la fonctionnalité est placée du côté de l’offre des acteurs économiques. Elle se présente ainsi comme un modèle économique centré sur la réponse à des usages, qui réinterroge le modèle de production des biens et la contractualisation avec la demande. En simplifiant, disons que l’économie circulaire est un modèle basé sur l’économie de la ressource, une voie qui présente de nombreuses modalités d’actions sur un territoire, par l’offre, la demande et la gestion des déchets.

Des points communs existent : dans son approche macro, l’économie circulaire, comme l’économie de la fonctionnalité, induit le développement de coopérations pour limiter les impacts sur les ressources en structurant des filières. Les deux modèles participent à la création d’emplois non-délocalisables. Elles se rejoignent sur un objectif de sobriété puisque l’économie circulaire tend à faire mieux avec moins et que l’économie de la fonctionnalité poursuit cet objectif en sortant de la logique de volume.

Quels sont les leviers d’action des collectivités pour favoriser le développement de l’économie de la fonctionnalité ?

N.F. : L’économie de la fonctionnalité est encore récente et peut sembler complexe, il y a donc un enjeu de formation et de sensibilisation des professionnels.

Pour accompagner cette démarche d’innovation et de changement, il s’agit de s’appuyer sur des exemples réalistes et concrets afin d'engager des acteurs dans cette voie. La mise à disposition de ressources, comme des guides, des fiches techniques, ou bien des exemples de contractualisation, est aussi primordiale pour faciliter le passage à l’acte des entreprises, créer un cadre favorable avec un écosystème d’acteurs en dialogue.

2. Les sept leviers identifiés par l’ADEME sont l’approvisionnement durable, l’écoconception, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage et le recyclage.


Témoignage de Romain Demissy, intervenant-chercheur à ATEMIS

Comment ATEMIS agit-il pour l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (3) ?

R.D. : ATEMIS est un laboratoire pluridisciplinaire qui articule recherche et intervention partout en France autour de trois grands enjeux : le travail et son organisation, le modèle économique, le développement du territoire.

Dans ce cadre, les membres du laboratoire accompagnent des dirigeants et des entreprises sur la conception, l'expérimentation et le développement de nouveaux modèles économiques durables. À cette occasion, ils soulèvent des enjeux de recherche sur l’évaluation, le travail de management ou les formes de contractualisation innovantes.

Comment définiriez-vous l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC) ?

R.D. : C’est un référentiel de questions qui permet de repenser son modèle économique en déconstruisant les formes de pensée anciennes. Cela conduit à élargir le périmètre d’action pour y intégrer les externalités sociales et environnementales comme une dimension essentielle du modèle économique. Dans cette démarche, l’expérience réelle de travail est centrale et la coopération est prise comme une exigence permettant de sortir d’une conception industrielle qui ne répond plus à ces enjeux.

L’EFC s’inscrit dans une perspective servicielle, où la question essentielle est : en quoi ce que l’on produit rend service. En cela, la coopération n’est pas une valeur, mais quelque chose d’essentiel à organiser, une dimension nécessaire du modèle économique.

Quels sont les enjeux liés au développement de ce mode de faire et de ce modèle économique ? Quels sont les effets utiles de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération ?

R.D. : L’enjeu principal est de faire du développement durable complet et concret. Au-delà des principes d’un modèle théorique qui serait vertueux, il s’agit d’ancrer la durabilité dans l’activité économique. Cette complétude est liée à différentes dimensions de la durabilité :

  • Économique : capacité d’investissement et de survie de l’entreprise ;
  • Sociale : inclusion et accessibilité ;
  • Environnementale : circularité des ressources et sobriété ;
  • Dans le travail : porter une vision du travail qui soit émancipatrice via le sens qu’il génère.

Comment l’économie de la fonctionnalité et de la coopération s’insère t-elle dans l’économie circulaire ?

R.D. : L’EFC ne se joue pas à la même échelle que l’économie circulaire, qui vise à organiser une circularité des flux dans les processus de production. Elle aborde la question du modèle économique : l’organisation de la production, les modes de facturation, d’obtention et de distribution des revenus, qui ne sont pas forcément pris en charge par l’économie circulaire. Il y a une forte complémentarité entre les deux, parce que l’écoconception et la gestion optimale des déchets peuvent amener les entreprises à l'EFC.

À titre d’exemple, Flex’Ink (4) est un imprimeur qui a voulu sortir de la logique de volume liée à son modèle économique. L’entreprise s’est rendue compte que même en intégrant du papier recyclé, une impression inutile avait des effets négatifs. Vendre une performance globale répondant au juste besoin permet de sortir de la logique de volume et d’ancrer l’activité économique dans le développement durable.

Quels sont les leviers d’action des collectivités pour favoriser le développement de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération sur leur territoire ?

R.D. : Ce nouveau modèle économique vient toucher les politiques publiques de soutien économique des collectivités. Un des enjeux est de cultiver des espaces de coopération, soit entre les acteurs du territoire, soit avec eux. Les collectivités peuvent étayer la coopération à travers des tiers-lieux qui permettent de se rencontrer. Elles ont aussi la possibilité d’animer ces espaces en représentant un tiers de confiance neutre sur lequel les entreprises s’appuient.

Les collectivités peuvent aussi cultiver un patrimoine, un ensemble de ressources qui permettent de développer des relations de coopération à travers l’animation territoriale. Faire la jonction entre les enjeux économiques autour de l’activité du territoire, sociaux autour de l’insertion, et environnementaux nécessite de dépasser les frontières de l’entreprise. Adresser ces questions passe par la construction d’un espace territorialisé, autour d’une structure multistatut que les collectivités peuvent aider à voir advenir.

Enfin, les collectivités peuvent soutenir des clubs qui permettent de créer de la confiance entre les parties, de revenir sur les expériences de chacun pour les mettre en discussion. Cela augmente la capacité à agir et offre de la reconnaissance aux porteurs de projet. Ce sont des ressources immatérielles qui viennent nourrir la valeur créée sur le territoire et placer les entreprises dans des relations de coopération plutôt que dans une posture de concurrence.

3.Pour rappel, l’économie de la fonctionnalité et de la coopération est une des approches de l’économie de la fonctionnalité 

4. Pour en savoir plus : https://flex.ink/

> En savoir plus sur Le Club CLEF

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Crédits photo : PEXEL - CIRIDD - ATEMIS


Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°19 / avril 2021

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