Miser sur la fonctionnalité | L’équipement en tant que service

Miser sur la fonctionnalité | L’équipement en tant que service
Roger Constantin s’intéresse au modèle des équipements véhiculaires en tant que service en Amérique du Nord. Convaincu de ses avantages économiques et environnementaux, le consultant documente et démocratise ce concept novateur, mais pas neuf.

Dans le cadre de son mémoire de maîtrise, Roger Constantin travaille sur les équipements en tant que service à l’intérieur d’un parc, pour répondre à un besoin de mobilité. Ce modèle d’économie servicielle s'inscrit dans la logique de l’économie de fonctionnalité et de la coopération (EFC), l’une des douze stratégies de circularité, qui met l'accent sur l'utilisation et le partage des services plutôt que sur la vente et possession de biens matériels. Selon le laboratoire d’intervention et de recherche Analyse du Travail et des Mutations dans l’Industrie Et les Services (ATEMIS), «l’économie de fonctionnalité est le stade avancé de l’économie servicielle».

L’équipement en tant que service permet cela, en ce sens que l’approche force les manufacturiers à fabriquer des produits qui sont le plus solide possibles, car ce sont eux qui assument les réparations, l’entretien.

-Roger Constantin

«Ce qui est important dans l’EFC, c’est d’avoir un produit qui va résister au temps, va bien performer et ne sera pas rendu obsolète au bout de quelques années, explique Roger Constantin, gestionnaire d'expériences depuis une trentaine d'années et chargé de cours à l'École de technologie supérieure (ETS). L’équipement en tant que service permet cela, en ce sens que l’approche force les manufacturiers à fabriquer des produits qui sont le plus solide possibles, car ce sont eux qui assument les réparations, l’entretien.» D’après ses recherches, les gains économiques sont réels, en ce qui concerne les équipements manufacturiers.

Du côté des équipements véhiculaires, toutefois, il existe très peu de littérature scientifique. Pour remédier à cela, Roger Constantin a donc bâti un cas avec un client et une jeune pousse proposant de l’équipement en tant que service pour les véhicules électriques, 7Gen, basée à Vancouver. «J’ai comparé les coûts entre le modèle actuel du client et celui de 7Gen, indique-t-il. J’ai conclu que les deux sont équivalents, en termes économiques. Ça signifie que l’équipement en tant que service est viable, qu’il a une véritable chance.».  

Un concept renouvelé et renouvelable

Roger Constantin note que ce modèle gagne en popularité, tout particulièrement en Europe. Volta trucks, jeune pousse suédoise, propose une approche Truck as a Service (TaaS). Moyennant une cotisation mensuelle, les clients ont accès à sa flotte d’autobus électrique, à son infrastructure de charge ainsi qu’à tous les services d’entretien, de maintenance, d’assurance et de formation. La française Hyliko est un autre exemple de start-up qui a adopté ce modèle, en misant quant à elle sur l’hydrogène. Elle offre un service de mobilité incluant le financement du camion, la maintenance, le carburant et les crédits carbones avec une facturation à l’usage.

Le modèle, pourtant, n’est pas jeune. L’équipement en tant que service existe depuis les années 60 avec le programme Power by the Hour (PHB) ou Puissance à l’heure, introduit pour la première fois par Rolls-Royce pour ses moteurs Viper, destinés à 125 avions d'affaires. Dans le cadre de ce contrat, le motoriste s'engageait à proposer le remplacement et la maintenance de toute la gamme d'accessoires du moteur, à un tarif fixe par heure de vol. Aujourd’hui, Rolls Royce capture les données d’utilisation de ses moteurs en temps réel, ce qui lui permet de connaître leur durée de vie et d’améliorer son service de maintenance.

Deuxième et troisième vies

La transition vers un tel concept mérite une réflexion en amont, alors que le besoin en énergie risque de devenir un talon d’Achille, dans le contexte de changements climatiques, selon M. Constantin. «Si tout est électrique, quelle sera la disponibilité de cette énergie?, interroge-t-il. Au Québec, il faut absolument que les véhicules d’assistance puissent sortir pendant une prochaine crise de verglas, par exemple.» La question de l’infrastructure de recharge et de son accessibilité est donc primordiale, et des solutions existent déjà. Celles et ceux qui ne pourront pas se payer de bornes de recharge pourraient, par exemple, y avoir accès de façon communautaire, dans une station dédiée.

Dans ces mêmes stations, un système de «Batterie en tant que service» permettrait également de faire remplacer sa batterie lorsqu’elle est arrivée à la fin de sa première vie. Car, à l’inverse d’idées reçues, les batteries peuvent avoir une deuxième, troisième, voire quatrième vie. «Parmi les premières batteries conçues pour la Toyota Prius, en 1997, certaines sont toujours exploitables, donc la durée de vie est beaucoup plus longue qu’espérée, souligne Roger Constantin. Lorsqu’elle a fini sa vie utile pour un véhicule, il lui reste encore 80% de charge après plusieurs années, dépendant des cycles de recharge.»

Une fois ce seuil atteint, l’énergie restante peut être stockée pour des périodes de crises ou bien pour les entreprises qui ont besoin de charges d’appoint, comme Hydro-Québec. Et lorsque la véritable fin approche, les matériaux qui la constituent peuvent être recyclés jusqu’à 95%, indique le chercheur. La boucle est bouclée.

 

EN SAVOIR PLUS SUR L'EFC

 

Roger Constantin et l’économie circulaire

Roger Constantin, a travaillé sur la gestion de parcs d'équipement de petits véhicules légers, lourds et de véhicules spécialisés, qui interviennent dans l’installation de réseaux de communication ou de gaz naturel, par exemple. Il est aujourd'hui un consultant autonome pour des entreprises privées et publiques, et enseigne à l'École de technologie supérieure (ETS) et poursuit également une maîtrise dans le domaine. Son objectif? Démocratiser le modèle de l’équipement en tant que service – une révolution - en Amérique du Nord et démontrer ses avantages économiques et environnementaux.

Tout est une question de leadership, selon le consultant. «Si on veut qu’un projet fonctionne, il faut que ça vienne de la haute-direction, elle doit y croire et démontrer à ses employés que ça peut fonctionner, dit-il. J’essaie de faire mon petit bout de chemin pour monter aux manufacturiers qu’il y a d’autres façons d’arriver à faire des profits, des bénéfices et avoir un équipement fiable.» Les gouvernements doivent aussi paver la voie pour accélérer la transition. «Il faut inciter les manufacturiers à produire des trucs de qualités, durables, peut-être en créant des taxes, suggère-t-il. Ça ne doit toutefois pas retomber sur le dos du consommateur.»

Enfin, il est urgent de communiquer plus adéquatement et abondamment sur le sujet des services, de l’EFC et de la circularité en général, selon M. Constantin. Lui-même récupère les piles, la peinture, les huiles moteur. «C’est une tout autre manière de penser et de faire, au quotidien, estime-t-il. Mais a-t-on le choix?» Non, répond-il sans hésiter.

La collaboration entre le CERIEC et le CIRIDD au service de l'EFC est soutenue par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française, dans le cadre de la Commission permanente de coopération franco-québécoise.

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Auteur de la page

Pascaline David

Modérateur

Emilie Chiasson

Conseillère en communication - Économie circulaire