Miser sur la fonctionnalité | L'EFC, une stratégie clé pour circulariser l'économie

Miser sur la fonctionnalité | L'EFC, une stratégie clé pour circulariser l'économie
Daniel Normandin, directeur du Centre d'études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) à Montréal, est convaincu que l’économie circulaire sobre est au cœur de la lutte contre les changements climatiques. Parmi les stratégies qui composent ce modèle, l’économie de fonctionnalité et de la coopération (EFC) serait une alliée de taille.

«On ne pourra pas atteindre nos objectifs climatiques et de préservation de la biodiversité sans circulariser l’économie mondiale, c’est un impératif, lance, avec détermination, Daniel Normandin. Cela va demander des changements de mentalité, non pas seulement chez les consommateurs, mais aussi dans les entreprises et les gouvernements qui vont travailler ensemble.»

Modèle d’affaires très prometteur, l’EFC fait partie des douze stratégies de circularité et repose au départ sur une idée simple : privilégier l’usage plutôt que la vente d’un produit. Selon l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’économie de fonctionnalité est un modèle économique « reposant sur la vente de la mise à disposition d'un bien matériel ou d'un service plutôt que sur la vente du bien ou du service lui-même.» De son côté, l’entreprise tire désormais ses revenus de l’usage et de l’entretien des produits dont elle est propriétaire.

Quand une entreprise reste propriétaire de son produit, elle fait en sorte qu’il conserve sa fonctionnalité le plus longtemps possible et que ces composantes puissent être réutilisées en fin de vie.

- Daniel Normandin.

Un lien contractuel avec le consommateur s’installe, dès lors qu’il achète l’usage du produit, en l’espérant robuste et durable. C’est un modèle gagnant-gagnant, pour le directeur du CERIEC.

EN SAVOIR PLUS SUR L'EFC

 

La clé : le manufacturier

Plusieurs définitions de l’EFC existent toutefois. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) la décrit, dans une note de 2017, comme un modèle consistant à «fournir aux entreprises, individus ou territoires, des solutions intégrées de services et de biens reposant sur la vente d’une performance d’usage ou d’un usage, et non sur la simple vente de biens.» Ainsi, ces solutions doivent «permettre une moindre consommation des ressources naturelles dans une perspective d’économie circulaire, un accroissement du bien-être des personnes et un développement économique.»

Pour Daniel Normandin, il est fondamental que la propriété du produit demeure entre les mains du manufacturier. «Si la propriété ne reste pas dans les mains du manufacturier, la boucle peut ne pas être complète», tranche-t-il. En d’autres mots, rien ne garantit que le produit ne finisse pas dans un site d’enfouissement. L’objectif est, ultimement, que les composantes d’un objet en fin de vie, c’est-à-dire qui ne peut plus être réparé ou mis à jour, soit revalorisées dans une logique circulaire.

 

Le modèle européen

Comment, dès lors, mettre en place un tel modèle à grande échelle ? «Il faut évidemment sensibiliser au niveau local les entreprises, les consommateurs, les acheteurs institutionnels», répond Daniel Normandin.

Surtout, les gouvernements ont une responsabilité et un pouvoir de lancer l’EFC, ils représentent le principal levier d’action.

Selon lui, il est urgent de mettre en place des réflexes de collaboration inédits pour arriver à un modèle de production et de consommation respectueux des limites de la planète.

Scruter l’Europe permet d’observer ce qui fonctionne ou non, en termes d’économie circulaire et d’EFC. La Commission européenne a présenté un nouveau plan d'action en faveur de l'économie circulaire, en 2020, dont l’EFC est un des principes clés. « L’économie circulaire pourrait soutenir la poursuite de la numérisation de notre société et le développement d’une véritable économie des contrats de location, le modèle du produit en tant que service étant l’un des principaux modèles économiques du plan d’action », peut-on lire dans la proposition de résolution du Parlement européen.

Ce plan européen vise à doubler la part des entreprises européennes adoptant l'économie de la fonctionnalité d'ici à 2030. Car, actuellement, le concept demeure encore mal connu ou mal compris. Surtout, il demande des investissements importants. Les territoires les plus avancés en ce qui a trait d’économie circulaire sont l’Écosse, qui vise la circularité en 2040, et les Pays-Bas en 2050.

Au Québec, l’économie circulaire est de plus en plus prise en compte dans les politiques publiques. La prochaine stratégie 2023-2027 sur le développement durable inclura un volet économie circulaire avec, il est à espérer, des programmes de soutien exclusivement sur ce sujet, car beaucoup de questions demeurent à élucider sur le plan de la recherche. « Ce qu’on ne connaît pas en ce moment, c’est le pourcentage de circularité mondiale qu’on doit atteindre pour ne pas dépasser les deux degrés de réchauffement, s’interroge le directeur du CERIEC. Et quel taux permettra de rencontrer la cible de préservation 30 % de la biodiversité ? » Autant de questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse.

S’ouvrir à l’international

Le CERIEC se donne notamment pour mission d’identifier les freins à la circularité des ressources et cocréer des solutions testées sur le terrain avec des partenaires, à travers les laboratoires d’accélération. «On va s’attaquer à l’alimentaire, textile, meubles, produits électroniques, batteries, etc. tous les secteurs économiques doivent être investis», affirme Daniel Normandin.

Le CERIEC et son partenaire français, le Centre International Ressources et Innovation pour Développement Durable (CIRIDD) ont organisé une journée dédiée à l’EFC ainsi qu’à l’économie circulaire en général lors des 34e Entretiens Jacques Cartier. Un panel d’entrepreneur.e.s participant.e.s aux initiatives EFC Québec et Club CLEF en France, ainsi que des expert.e.s ont échangé et présenté les différentes initiatives nées de leur réflexion sur la question, dans ce premier regard croisé avec la France.

Le CERIEC coordonne également le Réseau de recherche sur l’économie circulaire du Québec (RRECQ), impliquant plus de 230 chercheurs et étudiants qui participent à des projets structurants. «c’est le seul réseau de ce type au monde et on élargit progressivement notre membrariat à l’extérieur des frontières du Québec», précise-t-il. Il est selon lui nécessaire de dépasser les cadres de compétition classique pour être capable de transiter vers une telle économie, en collaborant avec toutes les parties prenantes, autant sur plan national, qu’international.

 

Daniel Normandin et l’économie circulaire

Daniel Normandin a passé la part la plus importante de sa carrière en milieu universitaire. Il y a développé une expertise dans la création d’unités de recherche avec une interface industrielle dans les domaines liés à la protection de l’environnement. Son intérêt pour l’économie circulaire est né d’un constat : l’échec du développement durable. «C’est malheureusement devenu un mouvement fourre-tout, qui va de planter un arbre à créer un emploi, estime-t-il. C’est devenu, le plus souvent, une façon de justifier une action qui n’est pas toujours véritablement verte.»

Par l’entremise des rapports de la Fondation Ellen MacArthur, il est séduit par ce modèle qui rallie les intérêts économiques, sociaux et environnementaux. «Je me suis dit, si on a une chance de pas rentrer dans le mur, ça sera en transitant vers une économie circulaire sobre, poursuit-il. J’y mets toute la gomme, c’est ma mission ultime.» Celui qui se définit comme un «réaliste, avec un petit côté optimiste», n’est pas découragé par l’ampleur de la tâche et s’attèle à convaincre les gens un par un. Le temps semble lui avoir donné raison, alors que l’économie circulaire est désormais un sujet de recherche à part entière et fait partie de l’imaginaire collectif.

La collaboration entre le CERIEC et le CIRIDD au service de l'EFC est soutenue par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française, dans le cadre de la Commission permanente de coopération franco-québécoise.

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Auteur de la page

Pascaline David

Modérateur

Emilie Chiasson

Conseillère en communication - Économie circulaire